Les mots doux n’existent plus
Il est loin le temps où on s’envoyait des lettres. Où on prenait le temps de peser chacun des mots qu’on couchait délicatement sur une feuille, dans l’espoir que quelqu’un de particulier, quelque part, prenne plaisir à la lire, à la comprendre et à y répondre. Chaque phrase avait son importance, chaque mot avait alors son importance. Un mot de trop et on était mal compris, une phrase un peu trop alambiquée et le lecteur pouvait s’y perdre. Chaque argument avait une cause, une conséquence et une valeur. Chaque lettre écrite était comme la trace d’une existence, le symbole d’une vie dense.
Les lettres on ne les envoie plus, et les mots doux n’existent plus.
Il est loin le temps où les gens savaient lire. Où on aimait apprendre et découvrir ce que l’autre avait à dire. Il est loin le temps où l’auteur avait une valeur et où on s’attachait à écouter la douce mélodie d’une prose passionnée. On a aujourd’hui du mal à s’attarder sur les mots, sur les articulations et les déviations d’une jolie phrase. Il est loin le temps où on voulait effleurer la pensée d’un autre, et à mesure des pages, entendre ce qu’il pensait, débattre de ses idées. Chaque lecture était surprenante, enrichissante et concentrée. Chaque lecture la trace d’un moment d’humilité, un moment où on avait pris le temps d’écouter. Les livres on ne les lit plus, et les mots doux n’existent plus.
Il est loin le temps où on pouvait vivre d’amour. Celui où on ne pouvait que se donner l’affection qu’on recevait. Il est loin le temps où l’amour était désintéressé. Ce temps où l’amour parental était sacré. Où l’amour fraternel était inconditionnel. Où l’amour ne s’achetait pas, ne se vendait pas, ne se prouvait pas. Il est loin le temps où on aimait le dire, le décrire et se sourire. On aimait savoir qu’à l’avenir on serait plusieurs, sans conditions, sans désillusions. Chaque sentiment était entendu, affectueux et respectueux. L’amour on ne le dit plus et les mots doux n’existent plus.
Il est loin le temps où on faisait de l’humour. Qu’on comprenait la dérision mais l’autodérision surtout. Il est loin le temps où on arrivait à rire de ses propres erreurs, à sourire de ses propres humeurs. Et qu’on avait assez de recul pour critiquer sans méchanceté, et rire sans se moquer. Il est loin le temps où on faisait de l’humour intelligent, où on riait de tout sans blesser, parce que tout le monde comprenait l’intention cachée. Chaque blague est pleine de sens, à mourir de rire et fait plus de bien que de mal. Les blagues ne sont plus drôles et les mots fous n’existent plus.
Il parait que le bonheur de lire, d’écrire, de rire, de comprendre a disparu.
Il parait que ceux qui veulent sont déçus et que se faire entendre est un privilège que beaucoup n’ont plus.
Il parait qu’on n’aime quand ça nous arrange et qu’accepter l’autre comme il est n’est plus une évidence. Il parait qu’on attend plus que ce qu’on donne. Et ce qu’on reçoit se mesure aux nombres d’appels au téléphone.
On ne se comprend plus parce qu’on ne veut plus comprendre celui qui n’est pas comme soi.
Il parait qu’il n’y a que ceux qui se sentent coupables qui se remettent en cause. Je crois que ce devrait être un chemin commun.
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