Arva FAJELE ABASSE

Déluge

Je sors de cours. Il est vingt heure trente. Temps d’automne. Dehors, le déluge. Où est l’été ? Parti. Du jour au lendemain, sans laisser le moindre rayon de soleil. Comme lui. 

Je rentre chez moi. Fenêtre restée ouverte. Inondation. La poisse est revenue avec la pluie. Mon cerveau est parti. Et ma bonne humeur aussi.

Déluge. Une dépression dehors, il y en a une dans mon coeur. Pleurs, pluie, je me noie.

 

Automne. Tu prends le rythme. Tu te lèves, il fait nuit. Tu rentres chez toi, il fait nuit. Putain, j’ai froid. Et chaque année, au même moment, tu te dis la même chose : je veux rentrer, là-bas il fait beau au moins. Automne. Il pleut. Et son silence résonne comme le tonnerre dans la nuit noire. Son absence est aussi présente que les milliers de gouttes de pluie sur ton visage. Et tu t’habitues, tu vis avec.

Rallumez la lumière, il fait sombre ici. Ramenez le soleil. Ramenez les sourires, les habits de couleur et la bonne humeur. Rallumez la lumière. Ramenez-le-moi. Arrêtez le déluge, ramenez le soleil.

Automne. Et puis en plus, t’es malade. Tout le monde est malade. Reniflements. Dans les transports, dans la rue, en cours. Sniff. T’as mal au crâne. Sniff. T’as froid. Tu te sens mal. Et tout le monde se plaint. Tout le monde est malade. Tout le monde a froid. Tout le monde a mal au crâne. Sniff. Et il n’est pas là.

Automne, tu t’habitues. Tu reprends le rythme. La poisse, elle va et elle vient. Elle revient parfois. Comme la pluie. Comme pour te rappeler qu’elle peut revenir. Alors tu apprécies. Tu respires, tu souries. Tu vas déjà mieux. Lui ne revient pas. Il ne reviendra pas. Mais c’est l’automne, et tu reprends le rythme, tu t’habitues. Tu t’habitues au déluge. Mais tu espères encore et toujours le soleil.

Reviens.

 

Il pleure dans mon coeur

Comme il pleut sur la ville;

Quelle est cette langueur

Qui pénètre mon coeur ?

Paul Verlaine


La dépression saisonnière, ou trouble affectif saisonnier, est une dépression liée au manque de lumière naturelle qui survient au même moment chaque année, en automne ou en hiver, pendant au moins 2 années consécutives, et qui dure jusqu’au printemps suivant.

Durant cette période, les journées sont courtes et la luminosité moins intense. Celle-ci passerait de 100 000 lux (unité de mesure de la luminosité) les jours d’été ensoleillés à parfois aussi peu que 2 000 lux les jours d’hiver.

Pour plus d’informations :

https://www.passeportsante.net/fr/Maux/Problemes/Fiche.aspx?doc=depression_saisonniere_pm


Baccalauréat : discours de remise des diplômes

C’est non sans émotion que je remets ici, le discours que j’ai prononcé en juillet 2012, lors de la remise des diplômes à la suite du baccalauréat. Une belle aventure, l’école !

Le 1er jour, celui où on entre en maternelle, personne ne s’en rappelle. Pourtant, on a bien crié et pleuré ce jour-là. Comme si on savait déjà dans quoi nos parents nous lançaient ! Quelques rares traumatisés se rappellent peut-être encore cette angoisse d’avoir quitté son berceau confortable pour se retrouver là, devant une dame à lunettes, plein d’autres enfants qui crient dans un environnement hostile et inconnu. Ce cadre de film d’horreur, c’était le commencement d’une grande aventure : l’école.

Depuis ce fameux jour où on est entré dans le système, des centaines d’heures de cours se sont écoulées, on a évolué et franchi les étapes pour se retrouver aujourd’hui ici, fiers d’être allés jusqu’au bout d’une aventure que l’on a parfois trouvée interminable.

En une douzaine  d’années, on a pu dépasser les joies de l’école primaire, du collège et maintenant, du lycée, avec, à chaque fois, ce sentiment agréable d’avoir accompli quelque chose, d’avoir franchi un cap et de passer à une dimension plus enrichissante encore de notre vie. Mais malgré cette hâte de partir à la sauvette découvrir d’autres horizons,  la Terminale est une classe que l’on a du mal à quitter, peut-être parce que c’est la dernière, et qu’avec elle, on doit aussi abandonner  un environnement familier que l’on va surement tous regretter.

Déjà nostalgiques  de ce qu’on a tous vécu au lycée, et en particulier cette année, on a voulu partager notre quotidien en tant qu’élèves, pour essayer de vous prouver combien les élèves de Terminale ES 1 cette année ont été des élèves absolument parfaits. A savoir, studieux, motivés, dynamiques, brillants, attentifs, intéressés, avec une participation active et une assiduité parfaite à tous les cours : tout ce que nos professeurs, évidemment, avec une mauvaise foi honteuse, nous ont reproché de ne pas être.

La classe de Terminale est un concentré de travail acharné, certes, mais aussi de moments hilarants, surtout quand la classe est aussi bien composée que la nôtre : entre des délégués pas vraiment exemplaires, les fausses sérieuses du 1er rang et les vrais fêtards du fond, il y a une myriade de gens assez spéciaux : musiciens qui jouent mal, sportifs qui se croient les dieux du stade, égos surdimensionnés, sans oublier éternels absents et convoqués de la vie scolaire. Vous avez compris, une classe originale mais finalement assez sympathique.

Mais toute l’originalité a résidé dans les personnalités, toutes aussi étranges les unes que les autres, de nos professeurs. Dès le début de l’année, en les observant, on a découvert qu’ils ont chacun des petites manies, parfois très étranges. Mais, pour ne pas faire de scandale, on évitera de révéler  tout haut ce qu’on a pensé tout bas durant ces heures de cours où ils croyaient capter toute notre attention.

Mais blague à part, on voudrait remercier tous nos professeurs de nous avoir emmenés jusque ici car nous sommes conscients des difficultés que vous avez eues pour nous faire réussir. Tout comme on voudrait remercier parents, familles et amis pour nous avoir soutenu durant ces épreuves, qui, même si elles sont loin d’être les plus dures, représentent quand même une petite victoire pour nous, jeunes adultes en quête de reconnaissance.

Finalement, avec un peu de recul, on a compris que l’école ça n’est pas que la dimension éducative. C’est aussi une grande aventure humaine, qui nous apprend à nous construire, à subir les mini chocs de la vie d’enfant puis ceux de l’adolescence, en étant entouré chaque année de nouvelles personnes qui nous apprennent comment appréhender les obstacles et les moments de joie que la vie nous réserve.

Voilà, entre le jour où on est entrés en maternelle et aujourd’hui, des années se sont écoulées et on a vécu de bons comme de mauvais moments. On a franchi des étapes et on a évolué pour qu’au final, on devienne presque les grandes personnes responsables et indépendantes qu’on a toujours voulu être. Et, pourtant, on a toujours l’impression de n’avoir rien vu du monde et que tout reste encore à découvrir. Alors, aujourd’hui, c’est officiel, on s’envole en espérant qu’un jour, on touchera le ciel.


Le frangipanier chez ma grand-mère

Ce matin, en me douchant, j’ai remarqué que mon nouveau gel douche (choisi au hasard parmi les mètres entiers du rayon gel douche du supermarché du coin) avait un parfum familier. C’était une de ces odeurs qui te téléportent vers un autre instant, ailleurs, loin… Très loin. Comme dans ces publicités où on te fait rêver d’un ailleurs merveilleux :  Vous sentez cette odeur ? Celle de la tarte de votre maman ? 

Moi, ce n’était pas une odeur de gâteau que je cherchais. C’était un parfum floral… Une senteur subtile, légèrement vanillée, reconnaissable parmi mille.

En cherchant un peu, je l’ai retrouvée dans mes souvenirs. C’est celle de l’arbre dans le jardin de ma grand-mère. Là-bas, au pays, là où j’ai grandi. Je ne savais pas comment il s’appelait. Pas avant de reconnaître la fleur sur le packaging attirant de mon gel douche. En gras, c’était marqué : Frangipanier. Oui, c’était cette fleur, magnifique, spiralée et délicatement parfumée, celle avec laquelle on s’amusait quand on était petit. ça parait si loin maintenant…

En y repensant, j’ai l’impression de ne plus l’avoir sentie depuis des années entières. Pas l’odeur du gel douche, non. Ni même celle de la jolie petite fleur au coeur jaune. Non, je vous parle de cette odeur qui m’enveloppait quand j’entrais dans ce jardin. Cette odeur rassurante. Cette odeur de famille.

 

Et tout te ramène là. La famille, corde sensible, sujet tabou.

Là, tu te téléportes.

Là, tu revois la plage. Tu revois le soleil. Tu revois surtout les cousins qui s’amusent dans l’eau et ta grand mère qui t’appelle pour manger. Tu revois les sourires de tes oncles jouant aux cartes. Et tu entends les éclats de rire de ta maman. Tu revois un million d’instants simultanément. Sourires, regards, moments. Détails insignifiants mais tellement importants. Tu es sur une dune de sable, face à la mer. Tu es sur une balançoire chez ta grand mère. Tu te retrouves dans le noir, jouant à cache-cache avec tes quarante frères et sœurs. Tu bois un tilleul un dimanche soir. Tu es là, chez toi. Ta mémoire te fout le cafard. Et tes souvenirs se précipitent. Comme s’il fallait se rappeler de tout ça, tout de suite, maintenant. Pour ne pas oublier.  Pour que tu regrettes d’être là. Sans tout ça. Sans eux.

Tout te manque, tu veux tout revoir, tous les revoir. Revivre tout ça. Les revoir, chacun d’entre eux, leur dire qu’ils te manquent. Leur dire que c’étaient les plus beaux moments de ta vie. Mais en fait, les meilleurs restent à venir. Parce que tu sais qu’il y aura toujours une petite fleur blanche au coeur jaune pour te rappeler que les moments comme ça, il y en aura encore. Parce que ta famille tu l’as dans le sang. Et c’est ton seul véritable repère. Comme le frangipanier dans le jardin de ta grand-mère.

 

 

Notre langage ne vaut rien pour décrire le monde des odeurs.

Patrick Süskind, Le Parfum (1985)

 


Intégration

Aujourd’hui, c’est une nouvelle journée. Début d’une nouvelle vie. Dans une nouvelle ville, une nouvelle école, un nouvel appartement.

Oui, c’est la rentrée. Et comme des milliers de nouveaux collégiens entrant en sixième, je suis prise d’angoisses existentielles. J’entre dans le monde des grands. Des gens de vingt ans. De ceux dont j’admirais le comportement il n’y a pas si longtemps. J’entre en école. Tout change, tout se bouscule et se brouille dans un tourbillon de nouvelles têtes et de nouvelles images. En deux mois, tout a changé. Et tout change encore.

Nouveaux repères, nouveaux paysages, nouvelle vie. Il y en a, ils adorent ça. Moi ça me fait peur.

Et je me retrouve là, au milieu d’un hall immense, aussi perdue que mille autres élèves. On est des hommes, on est des femmes, on est des grands… Mais personne ne sait où aller. Certains se connaissent, ils se sourient, et le soulagement se lit sur leurs visages : un ami, une connaissance, peu importe, je le connais, je ne suis pas seul. Ne pas être seul, c’est tout ce qui compte.

Veinards ! Moi je suis là. J’attends. Je me noie dans la masse. Je me fais oublier.

 

 

Aujourd’hui, c’est une nouvelle journée. La rentrée c’était hier. Et aujourd’hui, je suis à la préfecture. Nouveau dossier. Nouveau titre de séjour. Nouvelle année en France.

Identité, visa, titre de séjour, guichet Étrangers, immigration, intégration… Tout ça résonne dans ma tête. J’attends ce rendez-vous depuis un mois. Je prépare ce dossier depuis des semaines. J’attends ici depuis des heures.

J’avais rendez-vous à midi trente. Il est quatorze heure douze. Et ça n’avance pas. Entre-temps, je compte. Vingt-deux personnes attendent avant moi. Il n’y a que des étudiants. 30% d’origine asiatique, 20% d’origine maghrébine, 40% d’origine africaine. Et quelques européens. 100% de personnes qui s’impatientent.

Au bout de la file, au guichet,  un homme hurle. Il n’a pas l’air très content. Son interlocuteur non plus. Et ça hurle d’un côté, ça renchérit de l’autre. Personne ne comprend ce qu’il se passe. L’air est lourd. Il fait chaud, tellement chaud. Il y a trop de monde. Trop d’attente, et d’attentes. Et l’impatience n’arrange rien.

Certains sortent de là, sourire de soulagement aux lèvres, ils restent là encore un an. A l’année prochaine !

Veinards ! Moi je suis là. J’attends. Je me noie dans la masse. J’attends mon tour.

 

 

Aujourd’hui, c’est encore une nouvelle journée. C’était la rentrée avant-hier et j’ai déposé mon dossier à la préfecture hier. Et aujourd’hui, je vais en cours. Nouvelles matières. Nouvelle classe. Nouveaux amis.

Tout le monde s’assoit. Où aller ? Devant, au milieu, au fond ? Trouver une place stratégique. Ce sera au milieu. Toute seule. A côté de deux  » tout seul  » aussi.

Au fond, il y les groupes. Devant, il y a les groupes. Et au milieu, il y a les  » tout seuls  ».

Cours de marketing. On va enfin savoir ce que c’est. La professeure prévient, il y aura des travaux en groupe à rendre à chaque séance. En groupe ? Ah…

Au milieu, on se regarde. Et puis, on ose demander. Toi aussi tu es tout seul ? Tu veux être dans mon groupe ? Deux personnes, puis trois, puis sept… ça y est, on est un groupe. Sourires de soulagement. Sept tout seuls qui font un groupe. N’est-ce pas beau ?

On fait connaissance. Et toi, tu viens d’où ? De Calédonie et toi ? Moi de Madagascar, et lui de Martinique, et eux de Grenoble et de Nîmes ! Vous non plus, vous n’êtes pas d’ici ? Vous trouvez qu’il fait froid en septembre ? Parce que moi, je gèle, et puis la plage, ça ne vous manque pas ? Et… 

 

Aujourd’hui, je me suis fait des amis. Aujourd’hui, je rentre chez moi, prête à affronter une nouvelle journée, dans un environnement plus si nouveau que ça.

  • En sociologie, l’intégration est un processus ethnologique durant lequel une personne initialement étrangère ou jugée comme telle devient membre (s’intègre) dans une communauté.


Miroir, dis-moi la mort…

 

Dis-moi que cette moto ne l’a pas percutée. Dis-moi que deux jours plus tard, à ses blessures, elle n’a pas succombé, et que la vieille femme n’est pas passée de l’autre côté. Dis-moi simplement qu’elle n’est pas partie, en laissant des enfants, des petits-enfants,et toute une famille désespérée, sans repères, devant cette fatalité si brusquement arrivée. Dis-moi que le chauffard s’est excusé. Dis-moi qu’il ne s’est pas enfui avec lâcheté, négligeant, comme si c’était naturel, ses fautes et ses responsabilités. Dis-moi que, depuis, il n’arrive pas à fermer l’œil de la nuit et qu’il a renoncé, à son penchant pour l’alcool, au guidon de sa moto assassine. 


Une ancienne habitude, sûrement. Et impunie… Même s’il y a à présent une victime. Aucun coup médiatique, pas de polémique. Mais une âme envolée, et des cœurs, qui eux, battent toujours, mais machinalement, sans plus aucune raison de continuer. Ils ont perdu une mère, une épouse, une sœur. Ils sont en pleurs car une femme forte, en pleine santé, et qu’ils ont aimée de tout leur cœur, a eu le malheur d’avoir un rendez-vous chez le dentiste. 
Le mauvais endroit, au mauvais moment, c’est peut-être comme ça, qu’elle nous prend, la mort. Pas besoin d’être mourant sur son lit d’hôpital, elle peut nous attraper dans les transports, au cours d’une leçon de tennis ou tout simplement en étant assis sans aucun souci dans son salon. Et c’est peut-être ce caractère imprévisible qui rend la mort si inacceptable. 

Tout est éphémère.

Moi, ce que je fais dans cette histoire ? Je regarde, impuissante. Je regarde, du haut de mes 17 ans d’affreuses réalités. Je comprends que le monde n’a jamais été ce que j’avais imaginé. Je me rends compte que mes contes de fées viennent de disparaître à jamais. Depuis, j’ai grandi, je vois la vie autrement, et beaucoup moins gaiement. J’ai appris que tout est éphémère, que profiter de ce qu’on est et de ce qu’on a devrait être notre seule préoccupation puisque l’on ne peut rien faire devant un passé qu’on n’a pas le pouvoir de changer et un avenir mystérieux dont même l’existence n’est pas prouvée.

Je ne pouvais que confier ce drame. Laisser une trace, afin qu’au moins une personne quelque part partage la douleur et le désarroi d’une famille prise par surprise. Que quelqu’un songe pendant une seconde à la valeur inestimable de la vie, de sa vie. 

 

 

C’était en mars 2012. J’habite encore à Madagascar. C’est mon premier vrai article publié. La situation m’a choquée et j’ai envie de le dire. Je les regarde pleurer, impuissante. Et là je me rends compte que la vie est injuste. Je veux le crier, le hurler. Tout le monde le sait.

Je le publie à nouveau ici parce qu’il est toujours criant d’actualité. Beaucoup de crimes restent encore impunis chez moi. La plupart des gens oublient ce qui est arrivé et moi, je pense à eux, ceux qui l’ont vécu de près, à ceux qui ont perdu quelqu’un de proche ce jour-là.