Arva FAJELE ABASSE

Un déjeuner pas comme les autres

Le jury réuni le 6 décembre au siège de l’OIF a décidé d’attribuer le prix prestigieux des cinq continents à Fawzia Zouari pour son roman Le corps de ma mère publié aux Editions Joelle Losfeld
Le jury réuni le 6 décembre au siège de l’OIF a décidé d’attribuer le prix prestigieux des cinq continents à Fawzia Zouari

Bravo à Fawzia Zouari qui vient de gagner le Prix des cinq continents, le prix littéraire annuel décerné par L’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), pour son roman Le corps de ma mère, publié aux Editions Joelle Losfeld. Je pourrais vous décrire les qualités évidentes du roman. Mais il est déjà décrit ici, et aussi ici, et ces gens-là le font peut-être mieux que moi. Parce que pour être franche, je ne l’ai même pas encore lu.
Alors… Pourquoi je vous en parle, si je ne veux pas vous le décrire ?

Retour en arrière

Il y a deux jours la chargée de communication de l’OIF me contacte via la page Facebook de mon blog pour m’inviter à assister à la remise du Prix des cinq continents, c’est le prix littéraire annuel de la Francophonie.

Je n’y crois pas trop au départ… Au point où je lui demande – c’est bien une blogueuse que vous recherchez ? Elle me dit oui, et en plus il y a un malgache* qui est en lice pour être lauréat ! On ira tous déjeuner ensuite ! Ok, super. J’y vais. Je ne sais pas tellement à quoi m’attendre mais je dis oui. Et puis de toute façon, je risque quoi ?

Le lendemain, je visse ma casquette rouge Mondoblog (à l’envers s’il-vous-plaît) sur ma tête et je mets mes chaussettes les plus bizarres pour me donner un peu de courage et j’y vais.

13h15. Mardi 6 décembre 2016.

J’arrive tranquillement au 135 rue Saint Dominique dans le 7ème arrondissement parisien. J’étais toute émoustillée d’avoir vu la Tour Eiffel en venant. C’était déjà trop beau. Je pouvais déjà mourir en paix. Mais c’était sans compter sur ce qui m’attendait…

13h30. Je suis installée au Violon d’Ingres, restaurant chic en face d’Hubert Haddad (idole de ma vie) et de Bénédicte de Capèle, qui gère l’Association Culture elongo à Brazzaville. En entrant, ma première impression : mince, je ne suis pas habillée pour l’occasion. Avec ma maladresse habituelle, en entrant, je peine à enlever mon manteau… Sous le regard insistant du serveur qui attendait pour le prendre. Enfin, vous avez compris, je ne m’éternise pas, un canard au Lac des Cygnes. Afficher l'image d'origine

13h45. On m’a présentée à tout le monde. Autour de moi, les membres du jury et des invités de l’OIF : écrivains francophones illustres, des personnes engagées pour la cause francophone . Des personnes que j’admire profondément, d’autres dont je connaissais à peine l’existence. J’ai eu du mal à retenir les prénoms, les rôles de chacun. Et pourtant, j’avais révisé avant de venir.

J’avais espéré rencontrer In Koli Jean Bofane, Jean-Marie Gustave Le Clezio et parler avec le/la lauréat(e)- j’espérais par chauvinisme pur que ce serait Johary RAVALOSON, pour son sublime livre Vol à vif. Finalement aucune de ces trois personnes n’était là : la lauréate n’avait pas répondu, on ne savait même pas si elle était au courant qu’elle avait gagné. Mais malgré tout… J’étais assise à côté de Madame Le Clézio -qui est en passant, extrêmement sympathique-, en face de Bénédicte de Capèle, très intéressante aussi et en face d’un des écrivains contemporains dont j’admire le plus l’écriture et la pensée, Hubert Haddad. Alors franchement, aucune raison de se plaindre.

Le reste, je vous l’épargne

Oursins en entrée, discussions sur les prix littéraires : sont-ils vraiment légitimes ? En plat principal, un poisson dont je ne saurais vous dire le nom ni la préparation (non, mon végétarisme ne s’est pas exprimé à ce moment-là…), une discussion dont je n’ai pas tout saisi sur les Juifs indiens, La Palestine, les réfugiés, le cliché des jeunes trop connectés, les restaus où ils brouillent le wifi, champagne, on lève les verres en l’honneur de la lauréate qui n’est pas là… Tarte tatin, cigarette. Et hop, déjà 15h, c’est pas tout, mais le temps passe.

Qu’est-ce que je fais là ?

Plusieurs fois, durant ce plaisant déjeuner en grande compagnie, je me suis demandée ce que je faisais là. Mais plus le déjeuner avançait, plus mon petit complexe d’infériorité diminuait… J’ai tellement été bien accueillie par l’OIF, les mêmes responsables qui nous avaient accueillis à Tana m’avaient reconnue. Mondoblog a eu sa petite heure de gloire quand Véronique Taveau, responsable de la communication de l’OIF, rappelle dès mon arrivée au restaurant que Mondotana fut un réel succès.

Pour terminer mon monologue interminable sur ce déjeuner je dirai juste que j’en ressort avec l’impression que les blogueurs d’aujourd’hui, les jeunes connectés en général, font et feront l’information de demain. Et les institutions- l’OIF mais pas que- s’en rendent (enfin) compte.


Elle est pas belle la vie… à Paris ?

Voilà, ça fait deux semaines que je travaille en plein cœur de Paris. Deux semaines que je fais l’aller-retour entre ma petite banlieue tranquille et la ville effervescente. Deux semaines que je me balade tous les soirs sur le Boulevard Saint-Germain et les quais de Seine avant de rentrer chez moi. Elle est pas belle la vie à Paris ?

Notre Dame de Paris
Crédits : Arva Fajele Abasse

Deux semaines que j’affronte tous mes clichés sur la capitale. 

Deux semaines que je suis là. Six couples de nouveaux mariés croisés dans la rue, une centaine de SDF que j’ai eu honte de ne pas contenter, des centaines de touristes et trois « Can you take a picture please ? », des dizaines de nationalités et de langues dans le métro. Des dizaines de guêpes pas très arrangeantes sur les quais de Seine, une quarantaine de pigeons…au m². Et des milliers de publicités. Des pubs partout, dans les transports, dans la rue, dans les endroits où t’aurais jamais imaginé de la pub.

Mais Paris c’est aussi et surtout, des endroits magnifiques, des gens heureux quand ils piquent-niquent au soleil, des gens amoureux sur les quais de la gare, des gens passionnés par leur travail, leur art. Des gens normaux en somme. Et puis Paris c’est un rythme, c’est rafraîchissant, c’est entraînant, c’est revigorant… C’est le Montmartre des écrivains, c’est le pari des artistes, des créatifs et des libérés.

Crédits : Arva Fajele Abasse
Crédits : Arva Fajele Abasse

RER, Métro, Métro, Boulot, Boulot, Boulot, Métro, Métro, RER, Dodo.

Et rebelote le lendemain. 

Quand t’arrives à Paris, tu te prends quand même une belle claque dans la gueule. Et excusez-moi le langage, mais c’est tout l’effet que ça m’a fait. Quand t’es comme moi et que t’as des milliers de préjugés. Ouais Paris c’est sale. Ouais à Paris, ils sont snobs. Ouais à Paris, ils font la gueule, ils marchent trop vite et en plus, ils sont pas très aimables…. Ouais Bordeaux c’est quand même beaucoup mieux. 

Crédits : Arva Fajele Abasse
Crédits : Arva Fajele Abasse

Et quand tu te rends compte que tu passes dans les mêmes rues que tes héros de romans favoris, que la Seine a une couleur plutôt jolie au final et que tu lèves un peu la tête, tu admires le paysage et… Ouais, ça a  quand même de la gueule.

Alors oui, ça se bouscule dans les transports, les aéroports, à la gare et sur les trottoirs. Oui, les lundis matins sont difficiles, et non, le supermarché du quartier n’est pas forcément le moins cher de France. Oui, c’est pas tout le temps très propre, et non tout le monde ne vit pas bien ici… Loin de là.

Mais finalement, finalement, c’est peut-être un peu comme dans toutes les villes du monde non ?

Il n'y a pas de harsard...
Crédits : Arva Fajele Abasse

« Être parisien ce n’est pas être né à Paris, c’est y renaître » (Sacha Guitry)


Parce que même les myopes peuvent compter les étoiles

Dans ma langue maternelle, en gujarati, on dit littéralement de quelqu’un qu’il  »compte les étoiles » quand il est trop ambitieux, qu’il rêve beaucoup et qu’il n’est pas tout à fait lucide sur la réalité de sa propre vie. En temps normal, cette expression est franchement péjorative…

Rentrer chez moi cet été, à Madagascar, ça a remis les pendules à l’heure dans mon esprit. De quoi peux tu te plaindre quand tu te retrouves face à la pauvreté extrême de la majorité des gens ici ? Misère extrême dans les rues, sourires jusqu’aux oreilles quand tu les salues. Pauvres et presque toujours de bonne humeur, tu te demandes comment ils font.

Crédit : Arva FAJELE ABASSE
Crédit : Arva FAJELE ABASSE

Pas d’eau courante, pas d’électricité, pas de wifi, pas de réseau mobile mais une grande île avec des étoiles plein le ciel. Des étoiles comme t’as jamais vu, t’as l’impression que c’est irréel. 42 étoiles filantes à la seconde, t’as intérêt à préparer ta liste de voeux. Et puis tu restes toute la nuit devant un feu de camp. Et là la fumée ne te dérange plus, les moustiques ne te dérangent plus, le sable ne te démange plus. Parce que tu entends le bois qui crépite, les vagues qui vont et viennent et surtout, t’entends le silence des étoiles dans le ciel. Les petits plaisirs de la vie, de la vue, comme dirait l’autre.

Et là, tu sais pertinemment que t’es moins qu’une poussière dans l’immensité de l’univers. Que des milliards de gens sont sous le même ciel. Et que des milliards de gens ne sont pas aussi chanceux que toi. Toi tu peux compter les étoiles. Au moins toi, tu peux les voir.

C’est une autre sorte de luxe, quand même de pouvoir compter les étoiles. Ou plutôt de ne plus pouvoir les compter tellement il y en a. Tu relativises. Tu oublies ce que tu pensais être grave. Tu oublies que t’existes en fait.

Crédits : Arva FAJELE ABASSE
Crédit : Arva FAJELE ABASSE

Et puis, un truc en toi te demande de gâcher le moment. Prendre une photo, gâcher l’instant. Peut-être pour le partager. Capturer le moment ?  Non même pas, ton appareil refuse. Il fait trop noir, et pourtant il y a des milliards d’étoiles dans le ciel.  Qui brillent comme pas possible. Tout ce qu’il te reste pour partager ça, c’est une image un peu floue dans ta tête et des mots pas très précis, pas très jolis…

Et tous les soirs, maintenant, ici tu lèves la tête au lieu de la baisser sur ton écran te téléphone.


Chez le bouquiniste

Il y a énormément de choses que je ne fais pas parce que je n’ai pas le temps. Toujours débordée, toujours pressée… Dans mon monde, on ne s’arrête pas tellement. Alors je passe souvent à côté d’expériences formidables… Ce bouquiniste, par exemple, devant lequel je passe plusieurs fois par mois en me disant ‘‘j’irai quand j’aurai le temps ». La pire excuse du monde, tu ne trouves pas ?

Parce que chez ce bouquiniste, faut pas être pressé. Chez lui, on arrête le temps. On entre, on regarde un peu ébahi les livres répartis du sol au plafond. Il y en a partout et pour tous les goûts : dans les étagères, par terre, dans des bacs, des sacs, entassés, amassés, en pile ou en ligne… Il y a des livres partout, vraiment partout. Les vieilles étagères en bois recouvrent des murs qu’on devine derrière les bouquins chinés. Au plafond, quatre mètres au dessus du sol, les ouvrages tiennent presque en équilibre : on les croirait s’envoler. Ceux-là, deux échelles permettent de les atteindre, mais il faudrait déjà venir à bout de tous ceux qui flirtent avec tes pieds.

Bouquinerie Alain Guillaume, rue Sainte Catherine, Bordeaux Crédits : pinterest.fr
Bouquinerie Alain Guillaume, rue Sainte Catherine, Bordeaux. Crédit : pinterest.fr

Le plus impressionnant, à part le nombre de livres au mètre carré, c’est peut-être la mémoire de M.Guillaume qui tient ces lieux depuis plus de trente ans. Il connaît l’emplacement précis de chaque titre. Et pourtant, rien n’est rangé par ordre alphabétique, c’est à peine si tu peux reconnaître les catégories. C’est un joyeux bordel dans lequel il se repère comme un funambule sur son échelle. Les noms d’auteurs et les titres de romans, BDs, recueils poésie, pièces de théâtre, dansent dans des typographies, des formats, des couleurs et des éditions différentes. Quand t’es là, tu veux tout toucher, tout lire, tout feuilleter, tout comprendre, tout apprendre, tout oublier et recommencer encore et encore,

Et t’as pas eu le temps de faire « ouf  » que t’as pris un bouquin entre tes mains, tu en as lu une page, puis deux, puis trois puis un chapitre et tu te dis  »ok je le prends, je le finirai à la maison. »  Tu fais ça avec un bouquin, puis deux, puis trois et  tu te dis  »ok, faudrait peut-être que je les pose quelque part . » Tu fais une pile, puis deux puis trois…

Et puis tu regardes ta montre, tu paniques, l’heure a tourné. Tu regardes tous ces bouquins que tu veux prendre, tu paniques et tu te rends compte qu’il faudra casser ta tirelire, et puis surtout, avoir le temps de tout lire…

Arva FAJELE ABASSE


Parce que même les poissons rouges ont une mémoire

Fais un tour dans ton bocal, petit poisson rouge, ça ira mieux, tu ne te souviendras plus. Parce que rien n’est facile, mais rien n’est compliqué à oublier, surtout pas ce qui t’a marqué. Même quand tu as une mémoire de poisson rouge et que tu ne sais plus, une fois de plus, où t’as foutu les clés. T’oublies plein de trucs, sauf ce qu’il faut. Comme cette fois où t’as oublié de fermer la porte de chez toi, où t’as oublié de faire la vaisselle pendant trois mois, où t’as oublié de dormir deux nuits d’affilée et de te reposer sur le canapé.

De toute façon, t’as pas le temps. C’est bien le problème de ta vie ! T’as pas le temps de faire ci ou ça, mais t’as pas le temps non plus de te souvenir, ni d’oublier, les bonnes choses… T’as pas le temps de ranger, trier, classer tes souvenirs, entre ceux que tu dois jeter aux oubliettes et ceux que tu peux remettre sur leur piédestal. Et du coup t’accumules. Comme une boule de neige, tellement grosse qu’elle va s’exploser la gueule sur une pierre.

Parce qu’il y a des choses qui reviennent. Même quand t’as une mémoire de poisson rouge. Des trucs qui bougent, qui reviennent et tournent en rond dans ta tête. Des petites choses de ton enfance, des émotions que tu ressens encore comme si c’était hier, la sonnerie de ce téléphone qui t’était si chère.

Mieux, tu te souviens de ces choses auxquelles tu rêvais, de ce que tu rêves encore d’être plus tard, de ces tourments de gosse et de ton innocence à l’époque, quand t’avais pas vu tout ça. Oui, tu voulais être une princesse. Tu veux encore être une princesse. Mais tu ne sais toujours pas comment faire, tu savais avant, t’avais un plan d’action tout fait. Mais t’es toujours pas une princesse ! T’as oublié.

L’avantage c’est qu’un rien suffit à te rassurer, à t’encourager,  à te motiver… Comme un rien suffit à t’empoisonner : un air de musique, une petite fleur blanche, une mimique, une poupée, une main… Faire comme si de rien n’était, continuer à avancer. Tout va bien, rien n’a changé. Il faut faire un tour dans ton bocal petit poisson rouge. T’auras oublié d’ici là…. Mais tu te rappelleras plus vite que tu ne le penses. Parce qu’il y a des choses qui reviennent.